CHAPITRE 9
LA JÉRUSALEM
DIVINE ET
L'ANARCHISME DE
DIEU
|
LE MESSAGE DE L'APOCALYPSE
Le livre de l'Apocalypse de Jean
est déterminant pour compléter le reste
du Nouveau Testament. En effet, au moyen des images et
des scènes symboliques dont le langage provient
essentiellement des Écritures, il
révèle le sens caché de l'histoire
des " derniers temps " (de l'élévation au
ciel de Jésus comme Seigneur jusqu'à sa "
descente " du ciel). Cette histoire est le combat
eschatologique sans merci qui oppose radicalement le
Seigneur d'Israël (IHVH) au " Seigneur " qui
règne à Rome (César). Ce combat
à mort se termine par la victoire éternelle
et universelle du Dieu d'Israël et de son Messie, "
l'Agneau immolé ". Cette victoire qui
" vient " consiste à
la fois dans l'anéantissement des Ennemis de Dieu
et dans l'instauration définitive de la terre
nouvelle et des cieux nouveaux. C'est le triomphe final
de la " politique " du Messie Jésus: le salut du
monde par l'amour miséricordieux du Père et
de son Fils.
Cette politique divine est,
selon l'Apocalypse, beaucoup plus radicale, subversive et
"révolutionnaire " qu'on ne croit. Elle est "
sainte ", c'est-à-dire divine et unique en son
genre, totalement différente de toute politique
humaine. C'est pourquoi elle est radicalement subversive
pour l'ordre établi, en ce monde au milieu des
nations, depuis le déluge et l'alliance de
Noé. Elle renverse et supplante non pas tel ou tel
régime, mais tous les régimes qui
règlent la vie des sociétés
humaines. Elle supprime tous les pouvoirs de ce monde
pour les remplacer par l'unique pouvoir de Jésus
et de son Père, l'unique seigneurie du Seigneur
Dieu et de son Messie, ce " Fils de l'Homme "
annoncé par le prophète Daniel (chapitre
7).
Il en résulte que
l'identification des " Puissances "
ennemies de Dieu, en action dans les scènes
décrites du chapitre 12 au chapitre 22, ne doit
pas restreindre ni minimiser la portée renversante
de ces prophéties.
En particulier, ne nous trompons pas sur ce
que Jean de Patmos veut nous dire lorsqu'il nous montre
le Dragon, la première bête, la
deuxième bête, Babylone, la
prostituée...... Certes, il est sûr qu'il
désigne par là la Rome impériale de
la fin du premier siècle, le Pouvoir mondial de
César et les cultes du " paganisme " romain qui
divinisent de plus en plus l'empereur persécuteur
des chrétiens. Mais la portée
prophétique des jugements portés par
l'Apocalypse va plus loin que cela. Pour Jean, "
Rome " est bien plus que la Rome du 1 er
siècle et " les
Bêtes " ne se réduisent pas
à Néron ou à Domitien. Au contraire,
pour lui, la Rome impériale est typique et
représentative de toute la structure mondiale qui
préside à la politique de toutes les "
nations "(les " goïm " ) en tous lieux et en tous
temps. Rome, c'est, plus que jamais, la civilisation
humaine mondiale dont nous sommes tous les artisans :
c'est Babel (Genèse 11).
Quant aux deux bêtes, il faut donc
les interpréter comme les symboles
éloquents de tous les Pouvoirs
souverains et de toutes les Puissances publiques
qui règnent, avec le glaive et à l'aide du
glaive (Romains 13 . 4) sur toutes les ethnies des
habitants de la terre, en chaque génération
jusqu'à la Fin. Ce sont ces "
Pouvoirs "et "
Dominations " que
Jésus le Christ a déjà
vaincues par sa croix et qui seront
détruites au souffle de son
Avènement (II Thessaloniciens 2 . 8). Le fait que
le chapitre 13 de l'Apocalypse nous montre deux
bêtes, qui sont de connivence mais qu'il faut
distinguer, correspond à une double
réalité : d'une part le pouvoir
politique proprement dit
(politico-économico-militaire) et d'autre part le
Pouvoir religieux et idéologique
(qui justifie, légitime, accrédite et sert
le Pouvoir politique).
Si une telle compréhension
d'Apocalypse 12 à 22 est exacte, elle oblige
à une conclusion terrible et bouleversante :
tout Pouvoir, en ce monde, est de nature diabolique
et anti-christique puisque c'est le Dragon qui
s'en sert !
Pour échapper à un tel
jugement négatif, ne tentons pas de recourir
à l'opposition classique qu'on croit voir entre
Jean et Paul (Paul ayant une bonne appréciation
positive et optimiste de l'État, en Romains 13, et
Jean qui aurait une mauvaise appréciation
négative et pessimiste de l'État, en
Apocalypse 13). Pensons plutôt au caractère
ambivalent des " Pouvoirs "d'après l'ordre de "
conservation " de ce monde mauvais tel que le
définit l'alliance de Noé (Genèse 9)
: jusqu'à la Fin, Dieu se sert de
l'épée de Justice pour maintenir un certain
" ordre dans le désordre
" et pour gérer et réguler les rapports
humains. Mais la mission de ces " Autorités ",
même positive, n'est que provisoire et leur
rôle n'est que relatif : la venue du Règne
de Dieu abolira ce régime.(cf W. Vischer " la Loi
et les cinq livres de Moïse ." p. 135 & 136 -
Éditions Delachaux - 1949).
La fin de cet ancien
régime est célébrée
magnifiquement par le chapitre 6 de l'Apocalypse
:
"
Quand l'Agneau ouvrit le sixième
sceau, il se fit un violent tremblement de
terre ... Le ciel se retira comme un livre
qu'on roule, toutes les montagnes et les
îles furent
ébranlées.
Les rois de la
terre, les grands, les chefs d'armées,
les riches et les puissants, tous, esclaves
et hommes libres, se cachèrent dans
les cavernes et les rochers des
montagnes.
Ils disaient aux
montagnes et aux rochers : tombez sur nous et
cachez-nous loin de la face de celui qui
siège sur le trône et loin de la
colère de l'Agneau ! Car il est venu,
le grand jour de leur colère, et qui
peut subsister ? "
(Apocalypse 6 . 12-17)
|
Anarchisme de Dieu et de l'Agneau que cette
déroute des Chefs et des Puissants ?
Avant de répondre à cette
question, citons quelques lignes de Jacques Ellul ("
l'Apocalypse, une architecture en mouvement " ). Nous y
verrons que non seulement il explique le texte mais qu'il
en tire des prolongements théologiques et une
actualisation très différents de ce que
nous trouvons dans les commentaires plus savants.
Là, le plus souvent, la théologie de
l'État, qui est sous-jacente et qui influe sur
l'actualisation, reste la théologie traditionnelle
héritée de la " chrétienté
".
LA SUPPRESSION DU POUVOIR POLITIQUE
" Avec l'apparition des deux
bêtes (chapitre 13) nous sommes en
présence de puissances qui agissent sur la terre.
Les deux bêtes sont généralement
désignées l'une comme le pouvoir
impérial romain, l'autre comme le faux
prophète (propagande pour le culte
impérial). En réalité le
circonstanciel, assurément important dans
l'actualité (de Jean), est seulement l'occasion de
dénoter une réalité plus profonde,
universelle et fondamentale. Si la première
bête s'incarne actuellement dans l'État
romain, sa symbolique ne s'épuise pas dans cette
allégorie simpliste.... Je n'hésiterai pas
à dire que la première bête
désigne la puissance, le pouvoir politique au sens
global et universel.... Non seulement un État mais
bien l'État, l'État qui tient le glaive et
fait périr.
Cette puissance de l'État lui est
donnée par le Dragon. Elle vient de la puissance
du Chaos, du Destructeur
(commentaire du ch. 13, p. 90 à 99
de " l'Apocalypse, architecture en mouvement " - J. Ellul
- Èd. Desclée 1975)
" Rome " représente le
monde de l'homme, créé par lui et
exprimant, à l'exclusion de toute autre tendance,
sa volonté, son intelligence, son projet humain.
Ce qui la caractérise, c'est le pouvoir politique,
l'activité commerciale, le luxe, le raffinement,
la beauté, tout ce que nous pourrions actuellement
appeler la culture et la civilisation..... Mais la Ville
est la demeure des démons, le lieu de la
dépravation, de la gloire humaine, de
l'orgueil.... Finalement la Ville est celle qui tue.
"
(Apocalypse ch. 17 - 18 . Ellul p. 204 -
205)
La fin des pouvoirs :
De même qu'il n'y a plus de
Religion, de même, le Pouvoir ayant
été anéanti, il n'existe aucune
forme politique dans la Jérusalem céleste.
Il n'y a aucune Autorité. Elle existe par une
spontanéité de tous vers tous ; il n'y a
même pas de soumission au bien commun car il n'y a
plus de soumission...... Il n'y a pas d'autorité
dirigeante. Il y a seulement et exclusivement l'Amour.""
Là, la suppression du pouvoir politique me
paraît indiscutable...; Tout ce qui était
puissance politique a disparu." Mais il n'y a pas non
plus de laïcité, puisqu'il y a
dépassement du sacré. Il n'y a pas de
démocratie puisqu'il n'y a plus de pouvoir
politique du tout. La démocratie n'est pas le
règne de l'Amour mais une forme constitutionnelle
de l'État. "
Dans la Jérusalem céleste,
" la communication avec le Seigneur Dieu est
immédiate. Le Temple, c'est le Seigneur Dieu
lui-même." Sans aucune médiation.
L'être humain, toujours marqué par la
finitude, ne meurt pas, ne meurt plus. Le don de la vie
ne cesse plus. Constamment blessé, constamment
menacé par cette finitude qui est en lui, il est
constamment vivifié, constamment guéri,
pour l'éternité. "
" Cependant, dans la mesure où la
disparition du pouvoir politique est promise
exclusivement dans la Jérusalem céleste,
cela veut dire que le pouvoir politique subsistera au
contraire, sur la terre, jusqu'à la fin. "
(résumé fait librement des
pages 240 à 244)
Ici, on peut tirer deux morales civiques
opposées et antithétiques de cette
théologie qui vient d'être
résumée :
L'immense majorité des
chrétiens en déduit que, puisqu'il faut
attendre le Royaume de Dieu pour pratiquer cet "
anarchisme " divin, la nécessité impose de
" faire comme tout le monde " et, en matière de
politique et de civisme, d'agir "comme les autres nations
".
A l'extrême opposé, il y a eu
et il y a des chrétiens qui veulent dés
maintenant vivre et faire vivre ce " nouveau
régime " sans autorités ni pouvoirs, comme
si la Parousie du Maître les avait
déjà ressuscités. Mais
l'éthique civique et politique des
chrétiens ne doit être ni l'une ni l'autre
de ces deux positions. Suivant l'enseignement et
l'exemple du Seigneur Jésus, tous les
apôtres nous tracent la ligne de conduite suivante
(par exemple : Romains 12 & 13) : ":
1 : soumission aux
autorités politiques existantes, quelles qu'elles
soient, et abstention de toute révolte et de toute
insurrection.
2: non-participation au
Pouvoir, à son épée
justicière et à sa " raison d'État
", afin de pouvoir, dés maintenant, obéir
à la " loi du Christ " et de son Règne et
pratiquer l'amour des ennemis et la paix de Dieu. C'est
la bonne " morale d'anticipation " que Jésus a
pratiquée, pour obéir au Père.
Il appartient donc aux " fils du royaume ",
individuellement et en Église, d'incarner
dés à présent la position "
anarchiste " divine et prophétique de cette force
d'aimer vécue jusqu'à la croix par le
Seigneur. " Agneaux au milieu des loups ", à
l'exemple de " l'Agneau immolé "!(Pour montrer la
portée "cosmique" et "surnaturelle" de cette fin
des Pouvoirs politiques humains, quelques mots seront
utiles pour écouter ce que dit le Nouveau
Testament des "puissances invisibles" et de nature
"spirituelle" qui sont cachées derrière les
autorités politiques humaines.
On en parle si peu dans les Églises
!
"
PUISSANCES ", "
AUTORITÉS
", " DOMINATIONS ", DE LEUR DÉFAITE A LEUR
ANÉANTISSEMENT
De quoi s'agit-il ?
Pour des réponses approfondies, je
renvoie le lecteur au petit livre d'Heinrich
Schlier "Principautés et Dominations dans le
Nouveau Testament" (Èd. Desclée de Brouwer
- 1968), aux ouvrages d'Oscar Culmann " Christ et
le temps" et "Christologie du Nouveau Testament"
(Èd. Delachaux), ainsi qu'aux vocabulaires
bibliques (X.L. Dufour, éd. Du Seuil, et J.J. Von
Almen, éd. Delachaux).
Le petit résumé qui suit
devrait suffire à comprendre que "l'anarchisme" de
Dieu va plus loin que la simple sphère du
politique terrestre et vise la restauration de la seule
souveraineté divine sur le monde
créé tout entier, terre et cieux.
Commençons par cette phrase de l'apôtre
Paul:
"
Cette sagesse de Dieu, aucun des Princes de
ce monde ne l'a connue, car s'ils l'avaient
connue, ils n'auraient pas crucifié de
Seigneur de gloire."
(I Corinthiens 2 . 8)
|
On pense tout de suite à ces " chefs
" qu'étaient Caïphe et Pilate, directement
responsables de la mise à mort de Jésus.
Mais, comme le dit la note de la T.O.B., " il s'agit sans
doute à la fois des puissances
surnaturelles mauvaises et de ceux qui sont leurs
instruments". De même, la Bible en français
fondamental dit en note : " Ici, Paul parle sans doute
des mauvais gouvernants et des forces mauvaises
invisibles qui les poussent à agir". Sans
s'arrêter au " sans doute" dubitatifs de nos
frères, confirmons la vérité de leur
explication par l'ensemble de la pensée de
Paul.
Dans les épîtres pauliniennes,
de nombreux passages contiennent ces mots :
" autorités",
" puissances ", " trônes
", " seigneuries ", "
pouvoirs". Ces termes sont pris dans
le sens très particulier d'êtres invisibles
apparentés aux anges et aux puissances
démoniaques. Or, sur le plan terrestre, ces
mêmes mots s'appliquent au pouvoir terrestre de "
chefs " civils ou militaires, et même aux personnes
qui sont les organes de ce pouvoir.
Nous comprenons donc que les mêmes
mots peuvent désigner en même
temps les autorités invisibles et les
autorités d'États terrestres. Il en est
ainsi dans I Corinthiens 2 . 8.
Ainsi les autorités humaines qui
détiennent le " pouvoir de
l'épée" (Romains 13 . 4) sont les
manifestations tangibles et visibles de ces "
Autorités " invisibles déjà vaincues
par le Christ ( lors de sa victoire " pascale" ) mais pas
encore anéanties par lui (lors de sa victoire "
apocalyptique " à sa Parousie). Au jour de son
Avènement, le Messie de Dieu se chargera de
détruire lui-même, "
par son souffle" , " toute
autorité, tout pouvoir et toute puissance ...
et la Mort elle-même !" (I
Corinthiens 15 . 24 & 25). L'Apocalypse de Jean
annonce la même chose, en précisant
longuement que ces "Dominations" sont servantes du Diable
(les deux bêtes et la " Prostituée ",
antithèse parfaite de Sion " l'épouse de
l'Agneau ").
Or, dit le Nouveau Testament, comme
paradoxalement, ces "autorités "sont en même
temps " servantes " de Dieu (Romains 13) ! Comment
cela?
Le " magistrat " qui tient
l'épée ("et ce n'est pas pour rien !"
ajoute Paul ) n'est pas " serviteur de Dieu " au sens
d'un service de foi et d'amour pour Dieu mais seulement
au sens d'un instrument, un outil que Dieu utilise et
emploie pour exercer actuellement sa "colère "
(c'est-à-dire son action répressive,
punitive et justicière assurant un certain " ordre
dans le désordre "). Autorités invisibles
démonisées et autorités visibles
inconscientes du rôle que Dieu leur laisse jouer
sont donc provisoirement instrumentalisées par la
souveraineté du Seigneur Dieu.
C'est le régime de " Babel ", la
cité-monde, l'anti-Jérusalem d'en-haut, qui
règne sur ce monde et sur ce
siècle présent.
Par conséquent, prenons garde aux
pièges d'une actualisation qui ne verrait nos
Chefs que par le petit bout de la lorgnette en disant : "
l'Anti-Christ, c'est l'empire romain du 1 er
siècle !", ou : " ce sont les U.S.A.,
maîtres du monde! ", ou : " c'est l'église
apostate et dévoyée !", ou : " c'est
l'État sioniste ! ", ou : " c'est l'Islam ! ".
Non ! C'est tout cela à la fois, car
c'est tout le " système politico-religieux" du
gouvernement provisoire de tous les humains, cet " ancien
régime" instauré par Dieu après le
Déluge mais que Jésus est venu abolir et
détruire au profit du Royaume du Père.
A ce sujet, n'hésitons pas à
dire que les gouvernants chrétiens qui se
réclament de l'Évangile de Jésus
tout en servant les armes du Diable (la " raison
d'État " et la " loi du Talion " ), sont
infiniment plus coupables devant Dieu que les gouvernants
juifs ou non-juifs qui ne croient pas au Messie de Dieu,
" l'Agneau de Dieu !
Mais, alléluia et gloire au Dieu d'Israël,
c'est "l'anarchisme" de l'Agneau immolé qui va
mettre un terme, pour toujours, au règne de Satan
et de ses lieutenants !
" Mon
coeur exulte à cause de Dieu, mon Sauveur
.... car il a renversé les rois de
leur trône !"
, prophétisait Marie. (Luc 1 . 46
à 56)
|
Et nous ajoutons : " Chantez
le Seigneur, car il a fait éclater sa gloire Il a
jeté à l'eau cheval et cavalier
! " (cantique de Myriam, soeur de Moïse.
Exode 15)
Chantez le Seigneur, car il a fait éclater sa
gloire :Il a jeté au feu les chars et les
fusées ! Chantez le Seigneur, car il a fait
éclater sa gloire : Il a jeté au feu la
Mort et le Péché !
" Mon bien-aimé, mon
bien-aimé !
Le voici ! Il vient
" !
(cantique des cantiques)
Georges SIGUIER . 14 rue
Saint Jacques 81200 MAZAMET
suite : 171-dieu_anarchiste
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