LE NEOLITHIQUE ET LE DEBUT DE L'AGE DES METAUX Jean-Pierre Mohen Adjoint au Directeur des Musées de
France Approches chretiennes relation entre la science et la
religion pasteur réformé
"Néolithique" est un terme barbare
qui représente une étape de la
préhistoire finale. Leshommes s'y sont
trouvés dans une situation telle, qu'ils ont
été contraints de se domestiquer
eux-mêmes. L'organisation d'une nouvelle vie
sociale, la culture et l'élevage ont
transformé la nature. De nos jours, nous subissons
encore les conséquences de cette
révolution. Ces changements qui nous
inquiètent, qui font naître aujourd'hui
1'écologie militante, trouvent leur origine dans
le Néolithique. Cette période a duré de
7 000 ans avant J-C à 2 500 ans avant J-C . Les
gisements du Néolithique se montrent
différents de ceux du Paléolithique. Pour
s'en persuader, il suffit d'examiner un tell comme celui
de Tépé Yaya au Proche-Orient,
région où les premières traces du
Néolithique sont attestées. Il s'agit d'une
colline constituée de couches
archéologiques empilées. C'est un village
construit en terre séchée au soleil. A
mesure que l'érosion se produisait, sous 1'action
des pluies de printemps par exemple, d'anciennes maisons
disparaissaient dans la boue et de nouvelles
étaient construites. On pense habituellement que
ce type de site ne se rencontre que dans les
régions semi-désertiques du Proche-Orient.
En réalité, il en existe en Europe, en
particulier en Bulgarie et en Espagne. La fouille d'un tell laisse
apparaître les murs de maisons d'habitation, de
temples et de silos. La plus ancienne ville
découverte est Catal Hüyük, en Anatolie.
Elle a été crée vers 6 500 avant
J.C. et occupée pendant un millénaire. On
pourrait presque voir ces maisons habitées de nos
jours. Elles n'avaient pas de portes, on y entrait par le
toit. Les murs construits sur les côtés
extérieurs à la petite ville étaient
renforcés pour former un rempart. Au tout début du
Néolithique, les maisons étaient de forme
ovale. Par la suite, elles sont devenues quadrangulaires,
ce qui permettait de leur ajouter des extensions et de
créer ainsi un urbanisme. Le fait d'habiter dans
un espace limité et d'adopter la forme
quadrangulaire pour les maisons, a certainement eu une
influence sur la psychologie des gens. A Catal
Hüyük, on avait adopté un système
de module. Les murs étaient faits de terre
séchée au soleil et les toits de branches
recouvertes d'argile. A l'intérieur, l'unique
pièce sans meubles abritait une banquette pour
l'inhumation des défunts de l'année.
L'étude des rites funéraires nous a appris
beaucoup sur les rites secondaires que nous retrouverons
dans les grandes sépultures mégalithiques
de l'Europe occidentale. C'est l'archéologue J.Mellart
qui a découvert Catal Hüyük il y a une
trentaine d'années. Il avait alors eu la surprise
d'y voir des peintures d'une fraîcheur
exceptionnelle, mais qui disparaissaient après
quelques minutes d'exposition à l'air. Grâce
aux photographies prises à l'époque, et
grâce au traitement de certaines peintures, il est
facile de se faire une idée du raffinement de ces
civilisations. On peut voir par exemple un chasseur,
vêtu d'un peau de léopard, brandissant un
arc, des chasseurs semblant danser, une chasse aux
Bovidés, une scène où s'observe une
disproportion entre des personnages et un animal. Cette disproportion est aussi certainement
voulue pour représenter un "dieu taureau". On
remarque également deux représentations
humaines dont une tête décapitée qui
apparaît dans un contexte funéraire au cours
duquel le défunt était déposé
dans la maison des morts, à 1'extérieur de
la ville, où les vautours venaient les
décharner. Ces animaux ont aussi été
représentés sur des peintures. Au
printemps, on allait chercher ce qui restait des
ancêtres pour les placer dans les banquettes des
maisons. C'est à cette saison que ces
dernières étaient repeintes. Le printemps
était l'époque de la rénovation de
1'habitat et de l'introduction des ancêtres.
Certaines constructions apparaissent comme des
sanctuaires aux pièces subdivisées par des
piliers. Différents thèmes sont
traités dans les alvéoles ainsi
ménagées. Un thème important est
celui du taureau. Des protomés de bovins
étaient fabriqués à partir de vraies
cornes autour desquelles la tête était
modelée en argile. D'autres thèmes sont
axés sur le vautour, le léopard, des hommes
décapités. Il y a aussi des personnages
féminins représentés par
d'énormes femmes, paraissant âgées,
qui font penser à la déesse mère.
Ces divinités féminines se retrouvent
notamment à Malte. D'autres personnages sont de
sexe masculin et paraissent jeunes. Ce panthéon
animalier et humain se retrouve dans l'ensemble des
régions méditerranéennes vers 6 000
ans avant J.C.. Le Néolithique de Catal
Hüyük s 'est probablement
développé à cause de l'obsidienne.
La ville est située près d'un volcan
renfermant de bons gisements de ce
matériausemi-précieux. Les artisans
fabriquaient des couteaux aux manches d'ivoire ou d'os
sculptés. La richesse de Catal Hüyük est
liée à cette matière diffusée
à travers toute la Méditerranée. A
l'inverse, ses habitants importaient de l'ivoire
d'éléphant et des colorants. Les femmes se
peignaient le corps et se vêtaient de tissus; nous
sommes à l'époque des premiers textiles.
C'était aussi le début de l'élevage
et de l'agriculture, les habitants, nombreux et
sédentaires, ne pouvant se nourrir que de chasse
et de cueillette. C'est à partir de ce moment que
l'on peut dire que l'Homme s'est domestiqué
lui-même, il a adopté de nouvelles
règles. Les préhistoriens ont d'abord
pensé que la sédentarisation et
l'établissement de villages et de villes,
étaient la conséquence de la naissance de
1'agriculture. Les fouilles de Jacques Cauvin à
Mureybet, en Syrie, ont prouvé le contraire. Ce
gisement témoigne du passage du
Paléolithique au Néolithique vers 8 000 ans
avant J.C.. Les hommes étaient alors
semi-sédentaires, la permanence de leurs habitats
s'affirmant progressivement. Ils occupaient les zones les
plus favorables, comme les bords de lacs poissonneux
où poussait l'ajonc servant à la
fabrication de textiles, ou comme des collines riches en
graminées sauvages. Les derniers
chasseurs-cueilleurs bénéficiaient d'un
climat très favorable. Ce fort attachement
à une région fertile a aboutit à
l'agriculture et à l'élevage. Le besoin de matière
première comme 1'obsidienne est à 1'origine
de relations d'échange qui expliquent sans doute
la diffusion des innovations du Néolithique. Le
site de Khirokitia, à Chypre, est un bon exemple.
Les maisons y sont rondes, de forme archaïque. Avant
le début du Néolithique, il n'y avait pas
d'habitants sur l'île, comme c'est le cas pour la
plupart des îles de la Méditerranée.
C'est la recherche de matières premières
qui est à 1'origine des peuplements insulaires. La
navigation était rendue possible par la
construction de grandes pirogues monoxyles dont les plus
anciennes connues sont datées de 6 000 ans avant
J.C.. Quand les néolithiques arrivaient sur une
île, ils construisaient leurs maisons,
commençaient à cultiver la terre et
élevaient les animaux amenés avec eux.
Ainsi s'est propagé l'élevage du mouton et
du porc. Quand un groupe s'implantait quelque part et y
restait un certain temps, il se développait de
façon autonome; une originalité culturelle
s 'imposait progressivement. La céramique,
innovation du Néolithique, en est le témoin
privilégié avec ses formes et ses
décors variés, aux faciès
locaux. L'échange des matières
précieuses, pour l'époque, créait
donc des liens entre les populations. Les gisements
d'obsidienne existent dans des îles comme celle de
Lipari. Il n'y a pas de gisements en France, mais on
trouve des outils d'obsidienne dans le midi
méditerranéen. Comme pour la céramique,
chaque région a son stéréotype de
statuette. Malte, Chypre, la Bulgarie et la Yougoslavie
ont leur style propre. Ceci dénote l'existence
d'entités géographiques et culturelles bien
avant les découpages historiques en "pays
nationaux". Par exemple, le site de Khirokitia, à
Chypre, a livré des statuettes en pierre
originales. En Grèce, on connaît une
statuette, représentant un personnage accroupi,
qui, malgré des similarités
proche-orientales, s'avère elle aussi typique d'un
développement régional. Les fouilles des habitats
néolithiques indiquent les degrés
d'évolution des sociétés, leur
degré de dépendance à la nature.
Certaines populations sont encores très
tributaires de la chasse, alors que d'autres sont
davantage productrices de plantes cultivées.
D'autres encore, vivant en région aride, se
consacrent particulièrement à
l'élevage. Observons le cas du site de Sesklo, en
Grèce. Cette région a très vite
inventé ses propres "recettes"
néolithiques. L'inspiration vient d'Anatolie bien
sûr, mais les maisons y sont construites en pierre
et de façon moins serrée. Le rempart est
plus autonome des murs des maisons, le
développement du côté guerrier est
plus évident. Puis apparaissent des maisons plus
importantes, maisons de réunions pour les
sociétés égalitaires, ou alors
maisons de chefs. Sesklo date d'environ 4 000 ans avant
J.C.. Un millénaire plus tard, le village de
Dimini, toujours en Grèce, n'a cette fois plus
rien à voir avec les villages d'Anatolie. Le
côté défensif est encore plus net, le
centre du village est occupé par une citadelle.
Comme il n'est pas pourvu de nombreuses maisons, on peut
penser qu'il constituait une place refuge. Ce
modèle est celui des châteaux forts du
Moyen-Age. Le seigneur vivait dans son "donjon" alors que
les habitants du terroir vivaient à
côté de leurs champs et ne venaient au
château qu'en cas de danger ou bien les jours de
marché, ou de foire. Durant le Néolithique, les
relations d'échanges sont devenues de plus en plus
fréquentes et lointaines. Ces échanges
pouvaient se faire à jours réguliers aux
mêmes endroits. Ainsi, dès 3 000 ans avant
J-C existe un système qui rappelle les foires du
Moyen-Age. Revenons en arrière, vers 5
500 à 5 000 ans avant J-C, pour décrire la
société du site de Lepenski Vir, aux Portes
de Fer en Yougoslavie. Cette société en
cours de néolithisation réalisait
d'étonnantes sculptures en forme d'homme-poisson.
L'absence de membres fait penser au poisson, la
tête porte une grosse bouche; les yeux et le nez
sont ceux d'un anthropomorphe. Les maisons de Lepenski
Vir étaient construites face à une montagne
sacrée, située en territoire roumain de
l'autre coté du Danube. Dans chaque "maison", il y
a un foyer au centre et des sculptures, qui ont
jusqu'à cinquante centimètres de hauteur,
sont disposées près des foyers dont elles
devaient assurer la protection! Les habitants
étaient des pêcheurs qui tiraient leurs
ressources du Danube, mais ils connaissaient
déjà certaines innovations
néolithiques. Par exemple, le sol de leurs maisons
était recouvert d'une sorte de plâtre. Ce
matériau était fait de chaux éteinte
mélangée avec du charbon de ,bois; il
constituait un isolant contre l'humidité. Les
préhistoriques vivaient regroupés dans un
village mais ne connaissaient pas la poterie. De plus,
ils utilisaient toujours des microlithes, petites
armatures en silex, et ils ne pratiquaient ni
l'agriculture, ni l'élevage. En Bulgarie, on a découvert
des statuettes en os polis et sculptés. Il existe
aussi des statuettes en argile cuite très
différentes de celles d'Anatolie. Ces personnages
sont féminins ou masculins. Des vases portant des
représentations animales et humaines datent du
Vème millénaire avant J-C. Ils sont en
argile cuite et servaient sans doute à contenir
des liquides. Les personnages, des divinités
pense-t-on, sont retrouvées dans des sanctuaires.
Les motifs et les thèmes sont différents de
ceux de Catal Hüyük. Ce site d'Anatolie n'a pas
livré de représentations d'animaux
domestiques alors qu'en Bulgarie, on élevait et on
représentait le cochon noir. Le boeuf et le mouton
étaient également élevés en
quantité, comme 1'indiquent les ossements
retrouvés. Dans les Balkans, la pratique de
1'agriculture est acquise très vite. Le blé
est la principale plante cultivée, l'orge est
secondaire. La Bulgarie possède
d'importants tells comme ceux de Ratcheff , Metchkur,
Karanovo.Très tôt, alors que Catal
Hüyük n'a livré que quelques bouts de
cuivre et de plomb, lamétallurgie apparaît
en Bulgarie dans le courant du Vème
millénaire avant J-C. Lessépultures de
Varna ont été découvertes il y a
vingt cinq ans, mais c'est il y a seulement dix ans que
leur haute antiquité a été reconnue.
Les spécialistes se sont mis d'accord pour dater
la civilisation de Varna du Vème millénaire
et du début du IVème millénaire
avant notre ère. Les morts devaient être des
personnages très importants au vu des offrandes
qui les accompagnent. Ce sont des haches en cuivre, des
haches en pierre polie au manche décoré de
tubes d'or, des pointes de lance, des bracelets en or,
des perles de collier, des appliques cousues sur des
coiffes et des phanères portées en
pectoral. Il apparaît que la
métallurgie est une des innovations du
Néolithique même si sa pratique n'arrive que
plus tard en Europe occidentale. Elle a commencé
à se développer avec l'orfèvrerie et
le travail du cuivre. Des mines de cuivre datant de cette
époque sont connues. A Aïbunar, les
mêmes statuettes que celles des habitats y ont
été trouvées.Comme à Catal
Hüyük, le thème du taureau est
traité à Varna, mais cette fois sous forme
d'appliques en or. Les innovations du Néolithique
ne s'arrêtent pas là. A Karanovo, des sceaux
en pierre ou en argile cuite servaient à imprimer
des signes sur de l'argile crue, des peaux ou d'autres
matières organiques. Ces signes n'ont pas
été déchiffrés mais ils
devaient être utilisés pour des tractations
économiques, sociales ou religieuses. On en trouve
aussi sur des statuettes. A Tartaria, à la
frontière roumaine, on a trouvé des
tablettes du IVème millénaire avant J-C
portant des pictogrammes. Ils représentent des
personnages, des chèvres, des têtes
d'animaux, des gobelets et constituent une
première écriture. A la différence
des écritures pictogrammiques de
Mésopotamie et des écritures
hiéroglyphiques d'Egypte des environs de 3 000
avant J-C, l'essai bulgare n'aura pas de suite. L'Europe
n'exploitera pas cette pré-écriture alors
que la Mésopotamie passera des pictogrammes
à l'écriture cunéiforme etque
l'Egypte conservera ses hiéroglyphes. En avançant dans la
vallée du Danube, on rencontre des sites
d'agriculteurs qui devaient être assez riches. Ces
hommes recherchaient les zones de loess pour s'y
implanter. Ils y construisaient des maisons dites
"danubiennes" à la forte charpente et au toit de
chaume. Ces maisons collectives présentaient un
intérieur cloisonné et chaque pièce
disposait d'un foyer. Les maisons devaient abriter
plusieurs familles. Ces agriculteurs utilisaient
l'herminette, ne connaissaient pas l'araire et
n'utilisaient pas la fumure; ils devaient changer de
terre à chaque génération. A Bilani,
en Tchécoslovaquie, on a constaté
qu'à 1'occasion de mariages, les agriculteurs
néolithiques allaient construire des maisons en
dehors du village, là où il y avait de
nouvelles terres à défricher. Il a
déjà été dit que le
blé était la principale plante
cultivée, l'orge venant ensuite. Les céréales constituaient
l'alimentation de base. Pour la récolte, on
utilisait des faucilles en bois dans lesquelles
étaient enchâssées des lamelles de
silex. Les graines domestiques du Néolithique se
distinguent bien des graines sauvages. Pour que la
moisson soit possible, il faut que lesgraines murissent
en même temps, alors que la nature a
intérêt à étaler leur
maturation pour ne pas être prise au
dépourvu, dans la plantation naturelle, en cas de
mauvaises conditions climatiques passagères.
L'agriculteur a aussi intérêt à ce
que les grains soient gros et lesballes facilement
détachables. Pour obtenir ces
caractéristiques, il a opéré une
sélection durant plusieurs siècles pour
aboutir à des formes mutantes domestiques.
Après la récolte, on conservait une partie
de la semence pour la saison suivante et on
torréfiait le reste pour la consommation. La
torréfaction avait pour but d'empêcher la
germination. Pour produirela farine, les grains
étaient écrasés sur des meules
dormantes que l'on trouve encore dans les champs et dans
les gisements archéologiques. Au
Néolithique, on ne fabriquait pas de pain car la
levure n 'était pas encore connue. On
préparait des galettes cuites au four sur des
plats en argile. A Asparn, en Autriche, des fours
néolithiques ont été
reconstitués. Certaines formes
élaborées disposaient d'une chambre de
chauffe. Ces pratiques tout à fait modernes
existaient il y a 5 000 ans avant J-C. En remontant la vallée du
Danube, on arrive dans des régions occidentales
où s'est développé un monde original
et spécifique du Néolithique, celui des
"cités lacustres". Il s'agit de villages dont les
maisons étaient adaptées à des
milieux humides pouvant subir des fluctuations. Il y a
beaucoup de polémiques à propos de ces
cités lacustres. Etaient-elles vraiment
construites sur l'eau ou seulement sur les rives?
Certains archéologues soutenaient que 1'entretien
de maisons sur l'eau était impossible à
1'époque. Pourtant, 1'ethnologie a fourni la
preuve que cela est possible, P. Pétrequin a ainsi
comparé les sites lacustres néolithiques
avec un site actuel du Bénin. Les fouilles
récentes, plus précises, montrent que les
différentes possibilités existaient. Les
pilotis sont une réalité et
préservent bien le sol des maisons de
l'humidité. Le grand intérêt des
sites lacustres est la préservation d'objets en
matière périssable conservées dans
l'eau, à l'abri de l'oxygène. On trouve
entre autre des manches de haches et des crosses, des
gobelets et des roues en bois. Les plus anciens exemples
de roues, en Europe occidentale, datent du IIIème
millénaire avant J-C et viennent de Suisse,
à Auvernier, et d'Italie. Descendons maintenant vers la
Méditerranée pour découvrir le site
de Chateauneuf-les-Martigues, près de Marseille.
Cet abri sous roche est bien exposé au soleil. Des
études, comme celle de M. Escalon de Fonton, y ont
montré une occupation remontant au VIIème
millénaire avant J-C, au passage du
Mésolithique au Néolithique. Les hommes du
Mésolithique étaient des chasseurs et des
pêcheurs, ils utilisaient de petits
éléments de silex, les microlithes. Dans
les couches correspondant à cette période,
beaucoup de foyers font penser à une probable
activité de conservation du poisson. Les
néolithiques, quant à eux, fabriquaient des
poteries et pratiquaient l'agriculture et
l'élevage. Il est intéressant d'observer le
paysage de cette région marseillaise. A partir de
8000 ans avant J.C., le réchauffement du climat a
permis le développement d'une forêt, la
chênaie. Après deux mille ans de travail
intensif, les néolithiques, installé vers 5
000 ans avant J.C., ont provoqué une
véritable catastrophe écologique vers 3 000
ans avant J-C . Les défrichements par le feu, le
pâturage des chèvres et l'exploitation de
sols peu fertilesvont rompre l'équilibre naturel
et empêcher le renouvellement du paysage initial.
Ainsi, la buxée va remplacer la chênaie. La
conséquence négative de la
néolithisation est donc une désertification
qui s'est poursuivie jusqu'à maintenant. Les
microlithes du Néolithique se retrouvent sous
forme d'éléments de faucille et de pointes
de flèche. Les pointes du Néolithique sont
symétriques alors que les armatures du
Mésolithique sont asymétriques. La céramique de
Chateauneuf-les-Martigues est dite "cardiale" car sa
décoration est obtenue avec le coquillage
appelé "cardium". Cette céramique n'est pas
connue en Grèce et en Anatolie, elle n'est
présente que dans la partie occidentale de la
Méditerranée, ce qui montre encore que les
civilisations étaient originales et assez
repliées sur elles-mêmes en dépit des
échanges commerciaux qui les reliaient. La
néolithisation a produit d'intéressantes
représentations artistiques en Espagne, dans le
Levant, sous forme de peintures. A la Cueva de l'Or, des
traces de peinture ont été
découvertes dans les couches archéologiques
qui livrent également des poteries
décorées de figures animalières. Ces dernières se retrouvent sur les
peintures pariétales. Les plus anciennes de ces
peintures sont peut-être encore liées au
Paléolithique. Les Cervidés font tout de
suite penser à ceux de Lascaux. Il en est de
même pour les "sorciers " au corps humain et
à la tête d'animal. Puis, les formes vont
changer et les représentations de l'arc vont
apparaître. Cet engin a probablement
été inventé au Mésolithique.
Parmi les personnages, il y a des femmes vêtues de
longues robes élégantes; certaines
brandissent des bâtons interprétés
comme des bâtons à fouir. Elles seraient
donc en train de travailler la terre, de retourner et
casser les mottes. La vie pastorale est
évoquée avec des images de bergers, avec
leurs chiens, entourés de moutons. La représentation de la vie
quotidienne est réduite à ces scènes
mais par ailleurs, le Levant espagnol
révèle le coté agressif qui
caractérise le Néolithique. Il y a les
scènes de chasse avec des hommes,
équipés d'arcs, qui sont alignés
pour barrer la route d'une harde de Cervidés ou
pour affronter un énorme taureau. Mais il y a
aussi, et pour la première fois, des scènes
de guerre. Du Paléolithique, on ne connaît
que quelques cas de personnages atteints de
flèches, l'agresseur n'étant jamais
représenté. Dans le Néolithique du
Levant espagnol, on n'hésite pas à montrer
des affrontements de groupes alignés,
ordonnés, et portant les mêmes armes. Il y a
là une discipline déjà toute
militaire dès 5 000 ans avant J-C. La
mémoire de ces guerres existe aussi sous forme de
sépultures collectives, présentent de
véritable couches de guerre, qui livrent des
ossements humainspercés de f
lèches. Le mégalithisme portugais est un
autre contexte intéressant de la peinture
néolithique. Sur la dalle d'un monument sont
peints des chasseurs armés d'arcs et de
flèches tranchantes et non perçantes. Avec
leurs chiens, ils poursuivent des biches et un grand
cerf. Cette scène est contemporaine de celles du
Levant espagnol. Sur les îles de Malte et Gozo,
le Néolithique est aussi très original. Il
est caractérisé par des
représentations féminines qui
évoquent celles du Proche-Orient, et par des
monuments mégalithiques que l'on dit être
des "temples". Le mégalithisme s'est
également beaucoup développé sur la
façade atlantique de la France. Nous avons
fouillé un site à Bougon, dans les
Deux-Sèvres. Toutes les phases de construction
d'une architecture aérienne, qui apparaît
pour la première fois au début du
Néolithique, y ont été
reconstituées. On commence seulement à
découvrir dans quelles proportions cette
innovation a été essentielle dans l'Europe
occidentale. A Bougon, un premier tertre aux murs
architecturés contient une petite chambre ronde en
encorbellement. Un petit couloir y donne accès.
Une dizaine de squelettes et des offrandes s'y trouvaient
depuis environ 4700 ans avant J-C . Il s'agit de l'une
des tombes les plus anciennes que l'on connaisse.
Ensuite, la construction a été
élargie et la fonction monumentale 1'a
emporté sur la fonction funéraire. Des
offrandes étaient déposées à
la base des parements extérieurs, et les
néolithiques venaient vénérer le
monument qui les impressionnait par sa masse. A l'une des
extrémités du tumulus, un nouveau tumulus a
été construit, avec un dolmen à
l'intérieur, vers 3 500 ans avant J-C. Sa chambre
est couverte d'une dalle de trente deux tonnes. Cette
pierre n 'est pas la plus lourde de la nécropole,
une autre chambre étant couverte d'une dalle de
quatre vingt dix tonnes. La dalle de trente deuxtonnes
provient d'un niveau géologique secondaire , celui
du batonien à silex. Des géologues de Poitiers nous ont
aidé à retrouver le gisement d'origine, qui
se trouve à quatre kilomètres de la
nécropole. Sur les lieux de cet affleurement a
été trouvé un habitat
néolithique avec de la céramique et des
outils en silex. Nous avons tenté de
déplacer un bloc d'une masse de trente deux tonnes
pour apprécier le travail qu'avait
nécessité ce transport sur quatre
kilomètres. Les moyens mis en oeuvre sont
très simples. Avec des troncs de chêne, des
cordages et des leviers, deux cents personnes ont
réussi à déplacer le bloc sur une
distance de cent mètres en une journée.
Pendant que des hommes donnaient à
l'arrière l'impulsion nécessaire à
la mise en mouvement avec des leviers, la majorité
des autres tiraient le bloc avec des cordes. Pour
parcourir les quatre kilomètres, il avait donc
fallu un à deux mois aux hommes du
Néolithique. La plus grande difficulté que
nous avons rencontré était en fait de
maîtriser l'avancée du bloc en descente.
Pour l'élever sur le lieu du monument, le bloc
était soulevé d'un côté avec
de grands leviers manoeuvrés chacun par vingt
personnes. Des billots étaient placés
dessous pour maintenir la partie du bloc en
élévation. L'opération était
ensuite effectuée de l'autre câté, et
ainsi de suite. Il faut multiplier par quatre ou cinq le
nombre de personnes ayant participé à notre
expérimentation pour évaluer le nombre de
la population néolithique contemporaine du
transport du bloc de trente deux tonnes. Il y avait parmi
eux des femmes, des enfants et des vieillards. Pour le
bloc de quatre vingt dix tonnes, c'est par quinze qu'il
faut multiplier notre nombre de deux cent personnes et
là, on peut penser que l'aide des
populationsvoisines était indispensable. En étudiant globalement un
territoire comme nous 1'avons fait à Bougon, il
est possible de reconstituer l'occupation du sol des
populations néolithiques avec leurs habitats,
leurs carrières, leurs monuments. L'exemple le
plus spectaculaire de construction mégalithique
est celui de Gavrinis, dans le Morbihan,
étudié par C.T. Leroux. La couverture du
dolmen est un bloc de granit rose sur lequel sont
représentés des Bovidés. Cette dalle
de couverture a été dégagée,
au dessus, par l'enlèvement des pierres du tumulus
qui recouvrait le dolmen. C'est là que C. T.
Leroux a découvert les gravures qui étaient
jusqu'alors cachées. Le bloc est apparu être
un morceau d'un monolithe de plus grande taille, et il
s'est avéré que deux autres parties de
cette pierre constituaient les dalles de couverture de
deux dolmens de Locmariaquer dont la
célèbre Table des Marchands qui porte
également des gravures. Ainsi, à partir des
trois blocs a été reconstituée
graphiquement une pierre qui avait probablement
été dressée à Locmariaquer.
Elle avait quatorze mètres de hauteur et pesait
deux cent tonnes. Il faut se rendre compte du travail
qu'a nécessité le levage d'un tel monstre.
Dans ce domaine, le Grand Menhir brisé de Locmariaquer emporte la palme. Portant une
grande hache gravée, il devait se trouver
près du menhir précédent qui a
été réutilisé. Il est
maintenant couché à terre en plusieurs
morceaux. Sa hauteur était de vingt mètres
et sa masse de trois cent cinquante tonnes. La
réutilisation de certains des fragments de ces
pierres dressées apporte la preuve du lien qui
existait entre les menhirs et les tombes que sont les
dolmens. Ces réalisations prodigieuses nous
montrent le niveau qu'avait atteint cette civilisation il
y a 6 000 ans. Quel était la fonction des
pierres dressées? Elles étaient
érigées dans des endroits visibles de loin,
elles étaient également disposées en
alignements comme à Carnac, dans le Morbihan. Il
existe des monuments plus complexes comme celui de
Stonehenge, en Angleterre. Celui-ci a été
orienté de façon particulière. Une
de ses pierres, la "hellstone", correspond pour quelqu'un
situé au centre du monument, à la direction
d'apparition du Soleil au solstice d'été.
il est maintenant certain que les monuments
mégalithiques étaient orientés par
rapport au Soleil, à la Lune et à d'autres
astres. Les cérémonies qui pratiquaient en
ces lieux étaient sûrement liées au
calendrier agraire, au rythme des saisons dicté
par le Soleil et la Lune. Les religions du
Néolithique avaient pour thème une
divinité de la terre, de la fertilité et du
ciel de quoi dépendait cette fertilité. Ces
constructions sont le reflet d'une certaine
curiosité scientifique. Des astronomes affirment
qu'à Stonehenge, il est possible de prévoir
les éclipses de Lune. Cette curiosité s'affirme sur
les hommes eux-mêmes comme en témoigne la
pratique de la trépanation. On découvre de
plus en plus de crânes trépanés.
L'opération était faite de manière
très soignée, avec une découpe en
biais pour ne pas entamer le cerveau. A Bougon, nous
avons trouvé un crâne fragmenté. Une
fois restauré, il a révélé
trois trépanations. Une petite rondelle avait
d'abord été enlevée, un bourrelet de
réossification montre que la personne a encore
vécu au moins dix ans. Ensuite, une
deuxième trépanation est venue
élargir la première, là encore, la
personne a survécu. C'est la troisième
trépanation qui a été fatale. Le
chirurgien a alors complètement ouvert le
côté du crâne sans plus de
précaution, peut-être pour faire une
vérification post-mortem à la suite de la
mort, donc de l'échec. En matière de fortifications,
on retrouve en France ce que l'on a déjà vu
en Grèce, à Dimini. Des photos
aériennes de Bougon ont montré, sous un
champ de blé, le plan d'un camp néolithique
avec un système d'entrée assez complexe en
forme de pince de crabe. Les fossés sont
remblayés mais ils se distinguent en donnant une
couleur plus sombre à la végétation.
La terre qui a comblé ces fossés formait
à l'origine des remparts. Il ne reste rien au sol
si ce ne sont quelques silex et tessons. La fouille
consiste à dégager les fossés et
à reconstituer les remparts avec les remblais. Le
camp de Nieul sur l'Otize, en Vendée, est
fouillé par R. Joussaume. il n'y a pas de traces
de maisons dans le camp. Peut-être une seule
famille y habitait-elle, occupant une place
prépondérante, et y accueillait-elle la
population en cas de danger ou lors de foires?
D'ailleurs, de nombreux vestiges y témoignent
d'une intense activité. Avant d'en terminer avec
l'architecture, il faut citer les maisons
néolithiques des bergers du Languedoc. Les murs en
pierre sont très épais. Les maisons sont
regroupées et peuvent se fortifier, comme au
Lebous où se voient des tours. Durant le
Néolithique, apparaissent les fortifications et
vers la f in de cette période, des
sépultures collectives avec des couches de guerre.
Celle de l'hypogée de Roaix, dans le Vaucluse,
date de 2500 à 2000 ans avant J-C. Le métal, avec en premier lieu
le cuivre, devient de plus en plus présent. Il est
lié à la défense des sites. Avec
l'arrivée du métal, 1'économie
s'appuie vraiment sur la guerre. mises à part les
parures, les objets fabriqués sont des armes, des
poignards, des hallebardes, des haches, des
épées et des pointes de lance. Le site
à gravures de l'Age du Bronze ancien du Mont
Bégo, dans les Alpes-Maritimes, en est un exemple
célèbre pour ses nombreuses
représentations de poignards, de hallebardes et de
haches. On y voit également beaucoup de
corniformes, des attelages de bovins tirant un araire. A
la suite de la crise agricole de la fin du
Néolithique, à la suite de cette
première désertification, les agriculteurs
ont adopté de nouvelles techniques, introduisant
la fumure et creusant des sillons dans leurs champs
grâce à l'araire. Quand il pleut, l'eau
s'écoule dans ces sillons qui forment de petits
canaux d'irrigation. C'est l'époque où la
néolithisation est détournée au
profit d'une civilisation "féodale" et
guerrière, celle de 1'âge des métaux.
Ce passage s'effectue vers la f in du IIIème
millénaire avant J-C. Nous terminerons avec un autre aspect
de la néolithisation propre à l'Europe
septentrionale. Dans les forêts nordiques, des
civilisations, tout en pratiquant un peu l'agriculture,
dépendaient beaucoup de la chasse. A Zalavrouga,
site de la région de la Mer Blanche, de
véritables bandes dessinées sont
piquetées sur les rochers. Des chasseurs suivent
des traces dans la neige, ce sont les traces d'un
élan. Une embuscade est tendue et l'élan
est abattu à coup de flèches. Sur une autre
scène, un chamane porte une coiffe et un arc. En
Suède, des scènes similaires de l'Age du
Bronze présentent des personnages armés et
des bateaux. Peut-on déjà parler de
divinités des anciens peuples germaniques? Les marécages nordiques livrent des
objets en matière organique, comme des fragments
de textiles, qui permettent de reconstituer la vie des
gens qui vivaient 2000 à 1000 ans avant J-C. Trois
phénomènes peuvent être mis en
évidence en guise de conclusion à propos
des civilisations du Néolithique d'Europe et du
Proche-Orient. Elles se sont adaptées
différemment selon leur milieu naturel. Les villes
caractérisent l'Anatolie, la métallurgie se
développe dans les Balkans mille ans plus tard, et
à la même époque, de grands ensembles
mégalithiques s'érigent en Occident. Ce
sont là trois caractères originaux qui se
sont développés séparément
avant de se fondre. Ensuite, le passage entre le
Néolithique et 1'âge des métaux
correspond au passage entre un monde plutôt stable,
contemporain d'un optimun climatique, à un monde
régi par l'agressivité
organisée.
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